D'une UNGASS à l'autre
Mars. 2016Politique de drogues international
Forum Frank Zobel. Lors de la précédente UNGASS sur les drogues en 1998, le contexte ressemblait à celui de la Suisse dix ans plus tôt: la consommation de drogues, accompagnée de la transmission de maladies infectieuses, augmentait. La réponse internationale paraissait à la fois insuffisante et inappropriée. Cela a permis à l'ONU d'adopter des documents intéressants dans le domaine de la santé, mais n'a pas empêché des batailles sémantiques absurdes et l'adoption d'un objectif complètement décalé: une société sans drogues.
Si, en 1998, il avait fallu choisir un pays bousculant l'ordre établi, beaucoup auraient nommé la Suisse. Elle avait compris son problème de drogue un peu tard et son problème de VIH/SIDA très tôt. Son fédéralisme et la répartition des pouvoirs avaient permis à différentes expériences de se développer puis d'être réunies sous la bannière d'une politique nationale. Celle-ci englobait aussi la prescription d'héroïne, les locaux d'injection et, plus généralement, la réduction des risques. Cette politique dérangeait beaucoup au plan international. Elle offrait aussi une utopie, celle d'une prise en charge respectueuse, pragmatique et efficace des problèmes de drogue, sans tabous. Cela a fait bouger les frontières de la prohibition et contribué aux meilleurs éléments de l'UNGASS 1998.
En 2008, je travaillais pour l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies et j'ai participé au bilan des dix ans de l'UNGASS. Les données disponibles suggéraient ceci: le problème était en hausse, la plupart des pays n'avaient pas changé de politique et seule la réduction des risques affichait quelques progrès encourageants. C'en était trop pour l'ONU qui, plutôt que faire un bilan courageux, s'est inventé une victoire à la Pyrrhus: moins d'usagers d'opiacés qu'il y a un siècle!
En 2016, une nouvelle UNGASS aura lieu On peut lui souhaiter un bilan de situation honnête et quelques avancées sur les droits humains. Les débats, eux, devraient être pimentés suite à certains changements aux Etats-Unis et en Amérique latine. On y parlera sans doute aussi des Nouvelles Substances Psychoactives.
Quid de la Suisse? Elle n'est plus ce pays qui offre une utopie aux autres, même si les changements qu'elle a introduits sont toujours exemplaires. Près de la moitié des patients qui ont accès à un traitement avec prescription d'héroïne vivent en Suisse. Mais, nous avons aussi raté des étapes. Rien, en effet, n'aurait dû nous empêcher de retirer l'usage de drogues du champ pénal. Le Portugal lui l'a fait. On ne punit plus, on évalue et, si nécessaire, on soigne les usagers. Tout était là pour le faire en Suisse: la crise, les valeurs, l'opinion publique, les professionnels. Raté!
C'est mieux pour la question de la régulation des drogues dans notre société. Cette question ne touche pas qu'à la santé mais aussi à la liberté et aux droits des individus et de la collectivité. Elle est discutée pour le cannabis dont les risques sont proches de ceux de l'alcool. Nous n'avons pas résolu l'équation mais nous nous permettons d'y réfléchir, au travers d'analyses, de projets de loi, d'initiatives populaires et, plus récemment, de projets locaux. Or, une question sociétale ne se règle pas en cinq minutes et la Suisse avance sur le long chemin qui la mène à pouvoir à nouveau penser «autrement». Elle peut déjà faire bénéficier les autres pays de cette expérience, comme elle le fera encore, presque vingt ans après l'UNGASS de 1998, avec sa politique des quatre piliers.
Frank Zobel,
Vice-Directeur a.i., Addiction Suisse, Lausanne