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« La stigmatisation des maladies psychiques est hélas un phénomène mondial. »

Édition n° 119
Jan.. 2018
Egalité des chances

Cinq questions à Thomas Ihde- Scholl. Les malades psychiques sont souvent stigmatisés, ce qui les pousse à s’autostigmatiser. Lorsqu’ils contractent une maladie physique, il est rare qu’ils reçoivent les soins adaptés, celle-ci étant éclipsée par leur maladie psychique. Aussi ces patients vivent-ils jusqu’à 25 ans de moins que les personnes en bonne santé. Thomas Ihde-Scholl, médecin en chef du service de psychiatrie du groupe hospitalier FMI SA d’Interlaken et président de la fondation Pro Mente Sana revient sur ce problème et esquisse des solutions.

Les malades psychiques ont une espérance de vie réduite de 10 à 25 ans. Meurent-ils de leur maladie psychique ?

Les troubles psychiques peuvent être très graves et s’accompagnent hélas fréquemment d’un risque de suicide accru. Mais les suicides ne jouent qu’un rôle marginal dans la forte réduction de l’espérance de vie ; d’autres facteurs semblent primer.

Certaines maladies physiques sont la conséquence directe des troubles psychiques. L’anorexie, par exemple, peut fi nir par provoquer une atrophie du myocarde et, par là, un infarctus à l’issue fatale. Certains psychotropes engendrent à la longue des maladies physiques. Certains neuroleptiques provoquent une forte prise de poids ou de troubles du métabolisme tels que le diabète. Inversement, on observe une prévalence accrue de certaines maladies psychiques en lien avec des maladies physiques spécifiques, impossible à expliquer. Les personnes atteintes d’un syndrome d’apnée du sommeil, par exemple, sont surreprésentées parmi les dépressifs. 

« Certaines maladies physiques sont la conséquence directe des troubles psychiques. »

Les malades psychiques sont généralement très éprouvés par leur maladie, qui les rend apathiques ou les oblige à lutter pour leur survie immédiate. Dans ces conditions, préserver leur santé à long terme n’est plus une priorité. Quand un trouble obsessionnel compulsif sévère vous oblige à vous laver les mains 300 fois par jour, vous n’avez plus l’énergie de faire une randonnée le week-end. 

Certains comportements nocifs mènent à une forme d’automédication. Le taux de fumeurs est supérieur à la moyenne chez les schizophrènes. La nicotine les aide à rester concentrés et réduit les effets secondaires de leurs médicaments. Ils ont donc du mal à réduire leur consommation et à arrêter de fumer. 

« Le taux de fumeurs est supérieur à la moyenne chez les schizophrènes. »

Un autre facteur important à mes yeux est qu’à l’heure actuelle, les troubles psychiques constituent un important risque de paupérisation. Les soins de santé sont coûteux : comme bénéfi ciaire de l’aide sociale, vous pouvez diffi cilement vous payer des produits bio, pratiquer un sport et participer à la vie sociale. Encore un point – je dirais presque, le plus important : les maladies psychiques sont encore très stigmatisantes, et les personnes qui en sont atteintes ont tendance à s’autostigmatiser. 

Elles éprouvent un sentiment de honte, de culpabilité ou d’échec, les deux premiers entraînant la sécrétion d’hormones de stress, à effet négatif. À long terme, cela n’est sain ni pour la psyché ni pour l’organisme. Et il est inutile de préciser que la stigmatisation ne facilite pas l’accès au système de santé.

Que peuvent faire les personnes concernées pour éviter que des troubles physiques ne se surajoutent à leur maladie psychique ?

Elles ont besoin d’un soutien ciblé et de qualité. Les recommandations alimentaires d’usage n’ont guère d’impact sur des personnes qui ont pris 30 kg sous antidépresseurs. Les patients concernés trouvent souvent des informations plus complètes sur les forums que les professionnels ne peuvent leur en donner. Cela pourrait être un très bon point de départ pour l’entraide. En Suisse, nous avons de très nombreux pairs : les personnes qui ont fait l’expérience de la maladie et de la guérison et qui ont appris à la partager. Ils pourraient être d’une grande aide pour la prévention des comorbidités physiques. Mais c’est principalement au système de santé qu’il revient d’intervenir.

« Il faut donner des notions de psychiatrie de base aux médecins de famille, tout en veillant à ce que la souffrance physique soit traitée correctement en psychiatrie. »

Le suivi et le traitement des patients atteints de troubles ou de maladies psychiques sont-ils compliqués par des problèmes intrinsèques au système de santé ? Que faudrait-il changer ?

Les médecins de famille ont un rôle crucial à jouer dans ce domaine. Environ 35 % de leurs patients ont un trouble psychique. Mais les médecins de famille formés à la psychiatrie sont plutôt rares.Par ailleurs, la prise en charge de ces patients est de plus en plus assurée par les psychologues cliniciens. C’est une très bonne chose en soi, à cela près que, n’ayant pas de formation médicale, ils connaissent mal les interactions entre maladie physique et maladie psychique. D’où la nécessité de donner des notions de psychiatrie de base aux médecins de famille, tout en veillant à ce que la souffrance physique soit traitée correctement en psychiatrie. »

Reste le thème crucial de la stigmatisation des soins de santé. Les personnes souffrant d’importants troubles psychiques qui se présentent aux urgences pour un problème physique ne sont pas examinées, ce qui selon moi est clairement une forme de discrimination.

Les personnes atteintes d’une légère maladie psychiatrique rapportent souvent qu’elles préfèrent ne pas en faire état, par crainte que les médecins ne sousestiment leur problème physique, ne procèdent pas à tous les examens nécessaires, ou mettent les symptômes sur le compte de la somatisation.

À quoi faut-il être particulièrement vigilant pour prévenir les MNT chez les malades psychiques ? Les soins de santé sont-ils suffi samment mis en place pour ce groupe de patients ?

Comme nous l’avons déjà évoqué à plusieurs reprises, la stigmatisation ou, plus précisément, la discrimination des malades psychiques est autant un problème de santé publique qu’un problème de société. De plus, la prévention doit être ciblée. Il serait judicieux de mener une campagne anti-tabac auprès des personnes souffrant de graves troubles psychiques. On pourrait imaginer que les pairs y présentent les meilleures méthodes qu’ils ont expérimentées pour améliorer la concentration et compenser le manque de nicotine.

Que pensez-vous de l’égalité des chances de ce groupe de patients face aux soins médicaux ?

Elle est mauvaise. Cela étant, le problème est le même dans les autres pays. La stigmatisation des maladies psychiques est malheureusement un phénomène mondial. Mais quand on voit combien la Grande-Bretagne investit dans des campagnes de lutte contre la stigmatisation et comment elle forme ses médecins de famille aux soins de base psychiques, on ne peut que souhaiter la même chose pour son pays.

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