«La pression économique et la charge administrative croissante ont laissé peu de place à l’interprofessionnalité ces dernières années.»
Jan.. 2017Prévention dans le domaine des soins
Entretien avec Carlos Beat Quinto. Cet entretien illustre le positionnement de la FMH face aux défis inhérents au changement de paradigme qui se dessine dans le système de la santé, à savoir l’intégration de la prévention dans les soins de santé, le réseautage croissant entre les professions de la santé et les conséquences actuelles et futures pour la profession de médecin. De nouvelles exigences s’ajoutent-elles à celles existantes ? Comment la formation évoluera-t-elle dans les cinq, dix prochaines années ? Quels sont les enjeux financiers ? M. Quinto répond à ces questions et nous expose les axes centraux de son mandat. Il nous dit aussi quelles difficultés et quelles opportunités se profilent.
spectra: Depuis avril 2016, vous représentez la prévention au sein de la FMH. Quelle est votre vision sur ce thème ? Y a-t-il un aspect auquel vous souhaiteriez accorder davantage d’attention ?
Carlos Beat Quinto: Nous sommes élus au Comité central de la FMH en tant que représentants du corps médical. Ce dernier est donc toujours intégré dans nos réflexions. Je travaille en qualité de médecin de famille et suis également actif, depuis longtemps, dans le domaine de la santé publique. Aussi puis-je présenter au Comité central les préoccupations et les points de vue de ces deux secteurs. C’est certainement l’une des raisons pour lesquelles on m’a sollicité. Je me considère comme un bâtisseur de ponts entre la médecine générale et la santé publique, c’est-à-dire entre la perspective individuelle, la médecine se rapportant à chaque patient, et la perspective collective, se référant à la population dans son ensemble. La communication entre ces deux domaines peut être améliorée. Tant le corps médical que la santé publique auraient beaucoup à y gagner.
J’accorderai une grande attention à la stratégie nationale Prévention des maladies non transmissibles (stratégie MNT). Le dialogue, la participation et la responsabilisation ne doivent pas être négligés et ce, au sens de la Charte d'Ottawa pour la promotion de la santé adoptée en 1986. Ce constat vaut aussi pour toutes les personnes oeuvrant dans le domaine de la santé puisque la consultation relative à la stratégie était justement de grande envergure. Concernant les sujets qui touchent aux professions médicales et à celles de la santé, il faudrait intégrer les groupes professionnels intéressés à l’ensemble du processus, c’est-à-dire du développement du projet à sa poursuite durable en passant par sa mise en oeuvre. La planification des mesures entrera bientôt dans sa phase concrète et les parties prenantes exprimeront leur avis.
La FMH indique sur son site Internet qu’elle « suit activement les efforts entrepris en matière de promotion de la santé et de prévention dans le domaine des maladies non transmissibles ». Ce rôle plutôt passif ne va pas vraiment de pair avec les défis que doit relever le système de santé. À votre avis, dans quels secteurs et de quelle manière la FMH assumera-t-elle un rôle actif ?
La stratégie de la FMH et les objectifs du Département Santé publique et professions de la santé sont redéfinis tous les quatre ans. Ils l’ont été récemment pour la législature 2016 à 2020. L’objectif principal de mon département est de « soutenir et promouvoir la santé publique ». Les trois objectifs généraux en matière de santé publique sont : « 1. La FMH contribue à la promotion de la santé, à la prévention et à la réduction de la charge de morbidité. » Ceci s’applique également au corps médical puisque la santé des médecins est aussi abordée. Toutefois, la population demeure le sujet principal. « 2. La FMH joue un rôle central dans le cadre de la structuration de la santé publique à l’échelon national. » et « 3. La FMH encourage activement le corps médical à participer à la concrétisation des mesures de santé publique au quotidien. » La formulation de ces buts indique que la FMH est aujourd’hui loin d’être passive.
La FMH s’implique activement, depuis plus de 20 ans, dans des stratégies, des projets et des programmes. Elle s’est engagée et a pris position, parfois de manière proactive. Dans les années 90, des campagnes d’éducation de longue haleine ont été menées sur le VIH, la désaccoutumance au tabac, la prévention du suicide et contre le mal de dos. Depuis l’an 2000, la consommation d’alcool à risque est également ciblée. Disons les choses ainsi, la retenue fut quelque peu de mise dans la stratégie de la dernière législature. Cependant, le contact fut toujours privilégié et la FMH s’est toujours engagée.
Qu’attendez-vous des milieux politiques, de la Confédération et des patients ?
Aucun médecin ni professionnel de la santé n'est représenté depuis 2012 au sein de la direction de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et cela pose problème tant aux médecins qu’aux personnes oeuvrant dans le domaine de la santé publique. Cette situation complique les échanges et les liens avec les professions médicales et celles de la santé, ainsi qu’avec les professionnels de la santé publique. J’attends des milieux politiques qu’ils s’engagent davantage pour la transparence et qu’ils aient une vue d’ensemble à long terme. Je me permets de parler ici également au nom de la formation, qui me tient aussi particulièrement à coeur. Depuis les années 90, les inégalités sociales ne cessent de se creuser en Suisse. Cela m’inquiète. Une politique de la santé et de la formation appropriée permettrait d’atténuer ce problème, pour autant que les autres secteurs politiques en tiennent aussi compte. La Confédération et l’administration se trouvent dans une situation délicate. Je souhaite que tous les acteurs soient pris au sérieux et que les connaissances empiriques soient dûment prises en compte, notamment lors de la conception et de la concrétisation des activités des autorités. Je souhaite à l’administration qu’elle mène à bon port des projets efficaces, qui placent l’être humain au centre, conformément à la devise de la stratégie MNT. Nous autres, médecins, appliquons cette devise depuis plus de 2000 ans. En ce qui concerne les patients, je souhaite qu’ils s’engagent activement en faveur de leur santé, selon leurs possibilités.
Vu la hausse des cas de maladies non transmissibles et celle des coûts qui en résultent, une intervention s’impose concernant les soins de santé. Nombreux sont ceux qui aimeraient que la prévention soit davantage intégrée dans les soins de santé. Qu’en pensez-vous ?
Je trouve cette idée très judicieuse. Je l’applique au quotidien. Lors d’une consultation, le médecin de famille aborde toujours plusieurs préoccupations du patient. Des aspects relatifs à la promotion de la santé, à la prévention, au diagnostic, à la thérapie, à la réadaptation et aux soins palliatifs entrent en ligne de compte en fonction de la situation. Traiter ces différents aspects dans des consultations séparées n’est pas optimal. La consultation doit, en toute connaissance de cause, être adaptée aux problèmes actuels du patient. Les traitements ne sont pas exclusivement réalisés dans le cabinet, mais au sein d’un vaste réseau, même en dehors du cadre de la LAMal. Dans la région de Bâle, où je travaille, nous avons, par exemple, l’organisation de promotion de la santé « Gsünder Basel ». Elle propose des programmes d’activité physique à bas seuil dans des parcs publics. Nous lui adressons les patients. Des approches fondamentales en termes de conseil et de consultation, comme l’entretien motivationnel (motivational interviewing) et la prise de décision commune (shared decision making) sont nécessaires et méritent d’être encouragées.
Selon vous, où se trouvent les interfaces entre la prévention et la médecine curative ?
Les interfaces sont nombreuses, variables et interdépendantes. Pour la Suisse, nous savons que le fait de ne pas fumer, de consommer de l’alcool avec modération, d’avoir un IMC situé entre 25 et 30 et de pratiquer une activité physique d’intensité moyenne 30 minutes par jour permettent de vivre dix ans de plus en bonne santé. Ce résultat peut être obtenu grâce à ces quatre mesures de prévention uniquement. Les programmes de prévention secondaire, tels que le dépistage, ne sont judicieux que s’il existe ensuite suffisamment de possibilités curatives et d’offres d’encadrement. Au sujet de la prévention structurelle du tabagisme, je tiens à signaler que la Suisse est à mes yeux une lanterne rouge à l’échelon européen. Sur la cinquantaine de pays de la région OMS Europe, seuls Andorre, le Liechtenstein, Monaco et la Suisse n’ont pas encore ratifié la Convention-cadre de l’OMS pour la lutte antitabac. Dans le domaine de la médecine curative, il en résulte des coûts se chiffrant non pas en millions mais en milliards, ce qui a aussi des incidences sur le montant des primes de l’assurance-maladie. Des mesures de prévention structurelle sont la meilleure solution pour renforcer la protection des jeunes, encore déficiente. Une évaluation des conséquences de la règlementation a certes été demandée, mais les débats politiques n’en ont, jusqu’ici, pas suffisamment tenu compte. Si l’OFSP a un rôle important à jouer, il se trouve lui aussi pris en étau. La FMH a clairement pris position sur la loi sur les produits du tabac et s’engage pour que les Chambre fédérales entrent en matière lors de la session d’hiver.
Quelles interventions sont, selon vous, nécessaires au niveau de la formation et de la formation continue en matière de prévention dans les soins de santé ? Quel secteur offre le plus grand potentiel s’agissant des mesures de la stratégie MNT, élaborées parallèlement au programme Santé psychique et au projet Addictions ?
La santé publique est dûment prise en compte dans la future formation médicale (« Profils »), qui repose sur les différents rôles d’un médecin. La stratégie MNT n’a pas été développée parallèlement au programme Santé psychique et au projet Addictions. Nous saluons, toutefois, cette approche commune. La FMH s’est exprimée, voilà des années, contre les solutions de cloisonnement. Les médecins ne doivent pas se retrouver face à une nouvelle stratégie tous les trois ans. Bien au contraire, le tout doit être abordé de manière systémique. Pour ce qui est de la communication dans le cabinet médical, le « coaching santé » est un projet de pointe, primé à de nombreuses reprises.
Quelles démarches sont-elles déjà mises en œuvre dans la formation et la formation continue des médecins en matière de prévention dans les soins de santé ?
La prévention fait partie intégrante des études de médecine dès la première année. La Faculté de médecine de Bâle propose un bloc thématique consacré au corps, au sujet et à l’environnement, qui traite de la limite 0,5 pour mille du taux d'alcoolémie, de questions relatives à la hausse ou à la baisse du nombre de cas de cancer du poumon en Suisse ou des liens entre le tabac et les médias. La troisième année, les étudiants effectuent un stage de plusieurs jours dans des institutions médico-sociales. La sixième année, des cours interdisciplinaires communs sont donnés sur les drogues de synthèse et sur le tabac entre autres, conjointement avec des spécialistes de la pharmacologie, de la psychiatrie et de la santé publique.
Il convient de distinguer ces six années d’études universitaires de la formation continue qui s’ensuit. Celle-ci se déroule dans des hôpitaux, des cabinets médicaux et des institutions. Or parmi ces établissements, seul un petit nombre a une mission fondamentale dans le domaine de la santé publique et forme des spécialistes en prévention et du système de santé. Tel est le cas dans les Instituts de médecine sociale et préventive des universités de Berne, Genève, Lausanne et Zurich ou à l’Institut tropical et de santé publique Suisse, qui est associé à l’Université de Bâle. La Swiss School of Public Health offre d’autres possibilités de se perfectionner en santé publique après l’obtention d’un diplôme universitaire. Les étudiants peuvent y suivre le programme de master en santé publique, qui n’est pas seulement réservé aux médecins. C’est la formation postgrade qui présente le plus grand potentiel en la matière. Toutefois, la prévention et la promotion de la santé sont, là-aussi, en concurrence avec de nombreux autres sujets.
Les approches interprofessionnelles sont-elles abordées dans la formation et la formation continue ? Qu’en sera-t-il à l’avenir ?
L’approche interprofessionnelle fait partie de mon quotidien depuis des années. Cela va de soi pour moi. L’association professionnelle Médecins de famille Suisse a lancé une formation postgrade qui vise à encourager, à partir de l’année prochaine, la communication entre les médecins de famille et les autres groupes professionnels. L’interprofessionnalité demande du temps pour communiquer et instaurer la confiance.
La pression économique et la charge administrative croissante dans les secteurs stationnaire et ambulatoire lui ont laissé peu de place ces dernières années. C’est peut-être la raison pour laquelle cette approche est de nouveau perçue comme un problème. Par ailleurs, nous avons toujours plus affaire à des investisseurs financiers. Dans certains hôpitaux, établissements médico-sociaux (EMS), réseaux de cabinets médicaux et de pharmacies, ce ne sont plus les professionnels médicaux qui commandent, mais les investisseurs. Ceux-ci ne sont pas tenus de respecter les normes de qualité des organisations professionnelles concernées et attendent de la rentabilité. Pour la FMH, il s’agit d’un problème crucial.
Il n’existe que peu d’offres de formation communes avec les professions des soins. Le problème principal se trouve ailleurs : il est indispensable d’être respectueux envers le personnel soignant. On rencontre des problèmes dans les EMS dont les directeurs n’ont pas suivi de formation dans le domaine des soins et où l’on observe une forte fluctuation du personnel. En tant que médecin de famille, j’estime qu’il est fondamental que ces entités disposent d’infirmiers compétents en nombre suffisant, travaillant de nombreuses années en leur sein et sur lesquels je puisse compter.
Une grande partie de la formation et de la formation continue en médecine a lieu dans les hôpitaux. Les contrats et les conditions de travail marquent le rapport aux soins dans ces institutions. Il est donc important d’observer précisément ce qu’il s’y passe. On entend par « interprofessionnalité instaurée » des équipes constantes, interdisciplinaires qui collaborent sur un pied d’égalité. Ceci requiert d’avoir du temps pour communiquer et instaurer la confiance. Or le temps est précieux. Cet engagement n’est pas immédiatement payant. Ce n’est que plus tard que les efforts porteront leurs fruits.
Personne ne peut être contraint d’adopter un style de vie plus sain. Le patient ne se montre peut-être pas raisonnable non plus. Comment traiter ce type de cas à l’avenir ? Quelle importance la prise en charge interprofessionnelle, mais aussi les proches ont-ils dans ce contexte ?
Nous ne pouvons pas, d’un côté, attendre des habitants de ce pays qu’ils agissent en ayant toujours plus conscience de leurs responsabilités et, de l’autre, se contenter, sur le plan politique, d’une politique de prévention structurelle faible, en décalage avec les défis actuels. Il n’est pas éthique de dire à quelqu’un qu’il ne doit pas fumer tout en agitant, pour des raisons purement commerciales, un paquet de cigarettes sous le nez des jeunes lors de manifestations. Les patients qui ne se montrent pas raisonnables se trouvent souvent dans une situation ambivalente. Encouragez [c.-à-d. l’OFSP, n.d.l.r.] avec nous l’entretien motivationnel, par exemple dans le cadre du « Coaching Santé » !
Les campagnes de prévention jouent un rôle essentiel, mais leur financement n’a rien à voir avec les fonds que l’industrie injecte dans ses publicités. Les moyens financiers mis à disposition dans le cadre de la campagne SmokeFree permettent, cependant, de faire du très bon travail. Pour les patients, les proches peuvent être tant une ressource qu’un poids. Les proches aidants oscillent fréquemment entre surmenage et mauvaise conscience parce qu’ils doivent mener de front travail et famille. Ils ont besoin d’offres d’aide et de conseil, comme le groupe de soutien « Proches aidants ». Mais, que se passera-t-il lorsque les DINKs (Double income, no kids, c.-à-d. les couples sans enfant ayant deux revenus) partiront à la retraite ? Qui leur fournira les soins dont ils ont besoin alors que le nombre de proches diminue rapidement ? Dans ce contexte, j’aimerais ajouter quelques mots sur les compétences en matière de santé. Premièrement, c’est la formation qui contribue le plus à l’acquisition de compétences en matière de santé. Deuxièmement, les informations doivent être indépendantes et de bonne qualité. A défaut, elles devraient au moins être clairement référencées. Troisièmement, une marge de manoeuvre est nécessaire. Les connaissances et l'accès aux informations ne suffisent pas, il faut pouvoir en faire quelque chose. Lorsque ces conditions ne sont pas remplies, l’autogestion nous amène à faire endosser la responsabilité politique à quelqu’un d’autre ou, pour le dire autrement, à blâmer les victimes.
Comment peut-on structurer ou améliorer la prévention en matière de dépistage précoce de la dépression dans les cabinets médicaux ou de dépistage des maladies psychiques (et/ou de la démence) dans les EMS ?
Au début des années 90, la FMH a lancé, dans les cabinets médicaux, une campagne nationale de formation postgrade (fondée sur l’étude Gotland) sur la prévention du suicide, qui a duré plusieurs années. Celle-ci n’a rien perdu de sa validité. Il conviendrait juste de l’adapter aux évolutions actuelles afin qu’elle puisse être intégrée dans la formation et la formation continue. Cette question est d’ailleurs régulièrement abordée dans les congrès.
C’est avant tout au niveau de la formation postgrade que nombre de démarches sont entreprises pour intégrer des mesures préventives de dépistage précoce des dépressions ou des maladies psychiques. Pour ce qui est de la formation continue, tout dépend du diplôme visé. Les personnes intéressées ne doivent toutefois pas réinventer la roue. Ils peuvent prendre contact avec la FMH, qui possède les documents nécessaires à cet effet. Christine Romann, à laquelle j’ai succédé, est psychiatre. Aussi la FMH n’a-t-elle certainement pas négligé ce domaine.
Le dossier électronique du patient présente l’avantage d’améliorer la communication entre les fournisseurs de prestations de sorte que le traitement subséquent puisse se dérouler de manière complète et efficace. Pensez-vous qu’il comporte également des inconvénients et des risques ?
Je ne suis pas vraiment compétent pour m’exprimer sur ce sujet. En effet, à la FMH, cette question est du ressort du Département Numérisation et eHealth, dirigé par Yvonne Gilli. Par ailleurs, un groupe de travail interprofessionnel, constitué d’autres organisations de la santé, se penche sur ce thème.
Je peux simplement dire que les aides électroniques suppriment uniquement les obstacles techniques et qu’il ne faut donc pas les surestimer. Elles n’ont, jusqu’ici, pas amélioré ni altéré les compétences- clé, c’est-à-dire l’entretien entre le médecin et les patients et la qualité des relations thérapeutiques. Aucun document supplémentaire dans ledit dossier ne permet de les illustrer.
Actuellement, le plus grand risque réside dans le fait que la structure du dossier électronique du patient ne tient encore pas assez compte de la pratique. Je compte beaucoup à cet égard sur le groupe de travail interprofessionnel « Dossier électronique du patient » (IPAG DEP).
Plus généralement, la sécurité des données est une préoccupation majeure. Le constat est le même dans l’Union européenne et aux États-Unis : les données médicales ne sont pas sûres lorsqu’elles doivent être disponibles rapidement et simplement à plusieurs endroits différents.
Quelle importance accordezvous aux instruments numériques (mHealth, eHealth) ?
Idéalement, ils offrent une plus grande autodétermination aux patients et optimisent les possibilités de communication, indépendamment du lieu et de l’heure. L’utilisateur joue un rôle déterminant puisque lui seul sait si une telle application lui convient ou non.
Ces outils permettent aux fournisseurs de prestations d’effectuer plus rapidement des recherches et de parvenir à de meilleurs résultats. La mise en réseau avec les collègues spécialistes s’en trouve aussi améliorée.
Mais que dire du self tracking (automesure) via les applications dédiées à la santé ? Seules 20 % d’entre elles ont une charte de confidentialité. De plus, nous ne savons pas ce qu’il advient des données, après qu’elles sont stockées dans un cloud quelconque. La validité des résultats des mesures peut aussi être remise en question. Il n’est possible de déterminer clairement qui se cache derrière une application que pour 30 % d’entre elles.
D’aucuns pensent qu’il faudrait une ordonnance sur les produits pour certaines applications dédiées à la santé. La FMH pourrait soutenir ce projet en fonction de sa teneur. Nous interviendrions, bien évidemment, en cas de questions éthiques et juridiques. Ce sont plutôt les entreprises spécialisées qui s’investissent dans le développement d’applications et se confrontent au contenu. Les cardiologues sont, par exemple, associés à la création d’une application destinée aux patients de cardiologie.
On attend de l’intégration de la prévention dans les soins de santé qu’elle rende, à long terme, le système de santé plus efficace et que la santé de la population s’améliore durablement. La première étape consiste, cependant, à rechercher et à créer des possibilités de financement. Dans quels secteurs estimez-vous qu’il existe des besoins financiers ? Pensez- vous que des possibilités de financement n’ont pas été explorées, ou alors insuffisamment ? Si oui, dans quels domaines ?
S’agissant de la formation, de la formation continue et postgrade ainsi que du « Coaching Santé », une possibilité de financement devrait déjà avoir été trouvée dans le cadre des programmes d’encouragement, par exemple avec les associations professionnelles, sur une base publique commune.
En règle générale, il importe d’observer le quotidien des médecins. Nous fournissons, d’une part, une prestation intellectuelle les entretiens avec les patients – et, d’autre part, une prestation « artisanale », car nous faisons appel à des aptitudes, à des compétences et à des techniques d’examen. À ceci s’ajoutent des prestations techniques nécessitant l’usage d’appareils. Ces trois types de prestations font partie des activités médicales de prévention. Ces prochaines années, le personnel médical et infirmier sera vraisemblablement moins nombreux. Une journée ne compte que 24 heures. Aussi devrons-nous décider quelles méthodes (promouvant la santé, préventive, diagnostique, thérapeutique, de réadaptation ou de soins palliatifs) ou quelle combinaison de méthodes adaptée aux besoins du patient sont le plus efficaces. Compte tenu des ressources limitées en personnel, il n’y aura pas d’augmentation notable du volume.
Pour ce qui est du financement, ces prestations pourraient être incluses dans les positions générales. Les groupes professionnels oeuvrant dans le système de santé devraient, en toute connaissance de cause, se décider, avec le patient, à prendre des mesures préventives.
Avez-vous quelque chose à ajouter, un aspect qui vous tient à coeur ?
Je me considère comme un bâtisseur de ponts entre la médecine individuelle et la médecine générale. L’union fait la force. Cela demande du respect et de la confiance. C’est en ce sens que j’espère que la collaboration sera fructueuse. Les vents contraires étant suffisamment violents, il serait bénéfique à la santé publique que nous fassions cause commune.
Notre interlocuteur
Spécialiste FMH en médecine interne générale et titulaire d’un master en santé publique, Carlos Beat Quinto représente, depuis avril 2016, la santé publique et les professions de la santé au sein du Comité central de la FMH. Il travaille dans un cabinet de groupe à Pfeffingen (BL). Chargé de cours au Centre universitaire de médecine de premier recours des deux Bâle, il exerce également en tant que Senior scientific collaborator à l’Institut tropical et de santé publique Suisse (Swiss TPH). M. Quinto vit à Bâle. Il est marié et père d’un fils adulte.